Saint-Eustache est un secret qui cache bien son jeu. Discrète et intime, paisible et sereine, Statia, comme la surnomment ses habitants, vous chamboule sans crier gare. Perchée au Nord des Petites Antilles, l’île est bluffante, pléthorique de surprises. À commencer par ses épaves. Des coups de poing de couleurs et de vie, des visions surréalistes qui donnent envie d’y revenir.
Texte Cécile Cioni, photos Mike Hartenik (www.scubaqua.com)
Qu’il est parfois bon de se prendre une claque. À Statia, j’en ai pris une jolie, de celles qui redéfinissent votre échelle des dimensions. C’était en 2008, lors de ma première visite dans l’île. Une claque de tôle et d’acier, envoyée sans ménagement par un géant de la navigation, un câblier de 100 mètres de long reposant dans la quiétude des eaux caribéennes. Couché sur son flanc tribord, à 30 mètres de fond, le Charles Brown m’avait laissée pantoise, sidérée, abasourdie. Il avait réussi, en une petite heure de plongée, à balayer mon scepticisme : c’était bien LA plongée à ne pas rater.
En 2013, j’ai eu envie de tendre l’autre joue et de retourner saluer le monument. D’autant que l’année n’est pas anodine pour le Charles Brown. Coulé volontairement en 2003, il fête les 10 ans de sa nouvelle existence, sa deuxième vie en tant qu’épave adulée des plongeurs, la plus grande de l’arc des Antilles. Une décennie et il a encore toutes ses dents, cette force pure des grands bateaux. En pleine forme, le mastodonte s’est même magnifié, la vie marine ayant pris ses quartiers sur les structures des ponts. Racheté par l’île pour un dollar symbolique, afin d’en faire un récif artificiel, le Charles Brown est un colosse au cœur tendre, qui a laissé des témoignages de son affection un peu partout sur Saint-Eustache. « La table sur laquelle nous sommes en train de faire le briefing est constituée de bois provenant du Charles, nous explique Mike du Scubaqua Dive Center, juste avant de partir explorer le géant. Et nombreux sont les Statiens à dormir chaque nuit sur un matelas, récupéré sur le bateau ! » Autant dire que l’on va plonger sur une institution, pour laquelle le respect est de mise.
Les retrouvailles sont à la hauteur de mes espérances. À la descente, même préparée, je me laisse surprendre par la gifle que je suis venue chercher. L’eau est cristalline, la masse sous mes palmes est gigantesque, j’ai le tournis. Dans ce décor de superlatifs, mon œil s’accroche sur les hélices. Deux sœurs jumelles démesurées, dont chaque pale dépasse la taille d’un homme. La coque demeure nue, mais les ponts, la cheminée, les mâts ont profité du talent décorateur de Dame Nature. La claque prend une saveur nouvelle. Pas un centimètre carré qui ne soit recouvert d’éponges colorées, de gorgones et de coraux. Les poissons anges français nous narguent, vont et viennent, nous attirent dans les coursives. Aucun danger à y pénétrer, elles ont été entièrement aménagées pour la plongée. « Tout a été pensé pour la sécurité, me rappellera plus tard Menno, autre associé du Scubaqua Dive Centre. Les portes ont été retirées pour qu’il y ait toujours une sortie. C’est un endroit idéal pour les cours de plongée sur épave. »
La visite se poursuit avec le salut de Charly. Le vieux barracuda a vécu, mais il est toujours domicilié sur le Charles Brown. Il partage la colocation avec les chirurgiens et les poissons coffres qui pullulent sur la coque. Sans compter ce grandiose banc de carangues, dans lequel je termine mon immersion. Sans me prévenir, les belles m’ont encerclée, je suis au milieu d’un vortex vivant. Ultime regard dans le bleu baignant le géant. Deux silhouettes furtives se dessinent. Ce sont des requins gris, mais il faut déjà remonter.
RÉCIFS ROCOCOS ET VOYAGE TEMPOREL
En matière d’épaves, Statia est une veinarde. Comme si le Charles ne suffisait pas, l’insolente recèle de tôles rococos, merveilleusement concrétionnées au fil des années pour nous offrir une overdose de couleurs à chaque immersion. Le Chien Tong en est la plus belle extravagance. Et pour prendre toute la mesure de cette folie psychédélique, c’est de nuit qu’il faut arpenter l’ancien chalutier, coulé en 2004 sur un fond de 22 mètres. Une véritable boîte à malice, d’environ 45 mètres de long, droite sur le sable. Nul besoin de psychotropes pour que ma rétine hallucine. Bigarrée à souhait, sous le halo de mon phare, l’épave semble parée de grosses verrues violettes, vertes, jaunes, orange, rouges… Cette fois-ci, la baffe est kitch mais tout aussi délicieuse. Dans un instant, elle sera euphorique, car on ne vient pas sur le Chien Tong pour contempler uniquement ses boursouflures baroques. On vient admirer ses paresseuses locataires. Chaque nuit, l’épave devient dortoir. Le moindre recoin se fait ainsi lit douillet pour des tortues vertes, qui semblent se refiler l’adresse sans modération. Ingrid, la femme de Menno, me fournira un début d’explication : « Nous avons bagué certaines de ces tortues afin de savoir si c’étaient les mêmes qui revenaient dormir régulièrement. Mais non, ce ne sont jamais les mêmes. » En tout cas, cette nuit, l’hôtel affiche complet. Il faut se montrer prudent et éviter d’éblouir les belles endormies.
Outre ces épaves contemporaines, l’île est aussi un fabuleux repaire archéologique. Entre 1775 et 1800, plus de 3000 navires mouillaient chaque année dans son port, alors le plus important des Caraïbes en raison de sa position stratégique pour le commerce des esclaves et de son statut de port franc. Imaginez tout ce qui attend d’être mis au jour dans cette baie, pour l’instant quasiment pas explorée… Menno me raconte : « Je suis un peu maniaque. En mer, dès que je remarque un relief inconnu, je note les points GPS. J’avais ainsi relevé les coordonnées d’un site et les avais transmises à Ruud, l’archéologue de l’île. Quand il a plongé dessus, il est tombé pile poil sur une grosse ancre ! En fouillant la zone, cinq autres ont été révélées, dont une gigantesque ! » Depuis, le spot, surnommé « Lost (found) anchors » – les ancres perdues (retrouvées), ndlr –, est devenu une plongée réputée. Difficile de savoir comment ces ancres se sont retrouvées là, aussi éloignées de la côte. Mike a sa petite théorie : « Le bateau devait être au mouillage dans la baie. Un cyclone a dû le traîner vers le large, les ancres se sont alors fichées dans le récif. Certainement que derrière, il y a l’épave et peut-être une cargaison… » La fièvre commence à me gagner. Sous l’eau, mon imagination s’emballe. À une vingtaine de mètres de fond, le récif prend la forme d’un bateau. Des barracudas supervisent notre progression. Les poissons anges français, royaux et gris nous escortent. La première ancre est grande, mais ce n’est rien en comparaison de la quatrième. C’est à nouveau le vertige. L’imposant objet repose ici depuis des lustres, je voyage dans le temps.
CHASSE AU TRÉSOR À BLUE BEAD HOLE
Cette relation avec le passé est une composante essentielle de Statia. Sur terre, il suffit de gratter un peu le sol pour faire ressortir un témoignage des siècles écoulés, morceaux de pipe ou débris de poterie. Sous l’eau, c’est un petit bout de verre qui a fait la réputation de l’île. Les célèbres blue beads. Des perles hexagonales utilisées comme monnaie d’échange par les Hollandais, au XVIIe siècle, servant également à payer les esclaves. Une légende raconte que le jour de leur affranchissement, les esclaves ont jeté tous leurs blue beads dans la mer, en signe de liberté. Le charme de la rumeur opère et me voilà sur le spot de Blue Bead Hole, fin prête pour un ratissage en règle de la zone. Le Scubaqua Dive Center emmène ici régulièrement ses clients pour une petite partie de chasse au trésor. Le jeu est simple : on quadrille le fond, à la manière d’une équipe de marins pompiers, dans l’espoir de dénicher un éclat bleu sur le sable. Au passage, on admire les hippocampes, chevaliers lancés, grondins, bernard-l’ermite et autres bestioles qui se pavanent sur les lieux, alors que l’on s’écarquille les mirettes pour déceler un bout de verre. Évidemment, la chance y est pour beaucoup. La bonne vue aussi. Il semblerait que j’ai les deux. Ce n’est donc pas un mais deux blue beads, dont un de taille honorable, que je remonte fièrement. Il est en effet autorisé de rapporter ses perles avec soi, dans ses valises, comme un touchant souvenir de Saint-Eustache. La légende va plus loin : celui qui trouve un blue bead revient forcément sur l’île. Ça tombe bien, j’en ai deux, et bien envie de me reprendre une claque.
D’AUTRES SPOTS À STATIA
Saint-Eustache offre près de 40 sites de plongée. La plupart sont équipés de bouées afin d’éviter d’endommager les récifs. En voici quelques-uns :
– Anchor Point : un beau récif, à environ 20 mètres de fond, parsemé de gorgones et de coraux de toutes tailles. De belles éponges barriques complètent le décor, où l’on peut observer toute la petite faune antillaise, ainsi que des mérous, des barracudas et des requins nourrices. À noter la présence d’une vieille ancre française.
– Double Wreck : deux épaves en une pour ce site, mais on ne distingue plus les bateaux coulés il y a 300 ans. Il reste tout de même deux ancres, dont une abrite une kyrielle de minuscules blennies. Sur le sable, des raies pastenagues. Beaucoup d’éponges barriques sur le récif, avec parfois, dans l’une d’entre elles, une tortue qui fait la sieste.
– Barracuda Reef : un récif sur 18 mètres, ponctué de deux langues de sable. Ambiance d’éponges, de gorgones et de coraux cerveaux. Beaucoup de poissons anges.
– Stenapa Reef : récif artificiel constitué d’une grande barge et d’un remorqueur, posés sur un fond de 18 mètres. Les employés du parc marin utilisent ce site pour mesurer la vitesse avec laquelle la vie colonise de nouvelles structures. La nuit, l’épave est tout aussi fabuleuse que celle du Chien Tong. On dirait un char décoré pour le carnaval. Rarement vu autant de profusion de couleurs, même sur un récif naturel.
– Gran Canyon : impressionnantes coulées de lave, couvertes de gorgones et de coraux fouets. La descente s’arrête généralement vers 40 mètres, mais peut se poursuivre au-delà pour les plus aguerris.
MOBILISATION POUR LE CHARLES
C’est en 1954, à Naples en Italie, qu’est construit le CS Salernum. Pendant trente ans, il opère comme câblier spécialisé en télécommunication. On lui doit notamment la liaison des différents atolls maldiviens. En 1984, il est revendu à la Transoceanic Cableship CO et prend le nom de CS Charles L. Brown. Le navire est alors utilisé pour réparer les câbles sous-marins. Début avril 2002, il est mis en vente sur internet. À Statia, un groupe de travail s’est constitué et décide de visiter le bateau alors qu’il mouille dans les eaux de Curaçao, une autre île des Caraïbes. Le coup de foudre opère et le Charles L. Brown est racheté pour un dollar symbolique. Un an plus tard, le 5 avril 2003, il arrive à Saint-Eustache. Commencent alors le nettoyage, la dépollution et la sécurisation du navire. Les trois centres de plongée de l’île, le parc marin, le terminal pétrolier, le gouvernement et une cohorte de bénévoles participent aux opérations. Le 21 juillet 2003, le Charles L. Brown est positionné à l’endroit souhaité pour son immersion. Le 25 juillet, les cales sont remplies d’eau de mer, les vannes situées sous la ligne de flottaison sont ouvertes… Le Charles sombre à 17 h 42. Durant les premières années, quand la houle se fait forte, l’épave bouge… Un mouvement de balancier qui peut atteindre 50 cm d’amplitude ! Mais le cyclone Omar de 2008 a définitivement stabilisé le bateau.
Carnet de voyage
Saint-Eustache
Petit bout de terre d’origine volcanique de 21 km2, Saint-Eustache est réputée pour son atmosphère calme et paisible. Découverte par Christophe Colomb, l’île changea de nationalité 22 fois au cours de l’histoire. Espagnols, Anglais, Français et Hollandais ont en effet convoité ce Rocher d’Or des Caraïbes, idéalement situé pour le commerce des esclaves. Membre de l’État des Antilles néerlandaises jusqu’en 2010, Saint-Eustache est devenue depuis une commune à part entière de l’État néerlandais, tout comme ses voisines Saba et Bonaire. La présence hollandaise est depuis plus marquée, mais l’île demeure préservée du tourisme de masse, avec une population (environ 4000 habitants) toujours aussi accueillante.
Se rendre à Saint-Eustache
Comptez environ 8 h 30 de vol pour rejoindre Saint-Martin depuis Paris. La compagnie locale Winair dessert ensuite Saint-Eustache (20 minutes depuis Saint-Martin) plusieurs fois par jour.
Météo
L’île bénéficie d’un climat tropical sec, avec des alizées de Nord-est qui rafraîchissent l’atmosphère durant une bonne partie de l’année. Température de l’air entre 27 et 30°C. Température de l’eau entre 26 et 30°C.
Décalage horaire
-5 h en hiver, -6 h en été.
Courant
110 et 220 V. Prises américaines.
Monnaie
Dollar américain. 1 $ = 0,75 €
Formalités
Passeport en cours de validité.
Langues
Le néerlandais est la langue officielle, mais l’anglais est parlé partout. Au centre de plongée, plusieurs membres du staff parlent français.
Santé
La dengue est présente dans toute les Antilles, il faut donc prévoir de l’antimoustique.
À voir, à faire
– Une petite randonnée pour découvrir le volcan endormi du Quill, point culminant de l’île (602 mètres), et l’intérieur de son cratère.
– Une visite guidée pour en apprendre un peu plus sur l’histoire passionnante de l’île, avec une halte au musée de la fondation historique de Statia.
Se loger
L’hôtel Old Gin House, ancienne taverne située à deux pas du centre, offre de spacieuses chambres. L’accueil est convivial et l’atmosphère authentique. Petit déjeuner américain servi face à la mer, pour bien démarrer la journée.
www.oldginhouse.com
Le centre
Installé sur l’île depuis 1997, le Scubaqua Dive Center a intégré, en 2012, de nouveaux locaux donnant directement sur la plage. Ancien bâtiment historique, poste de garde puis phare entre les XVIIe et XIXe siècles, le lieu a été loué au centre en échange d’une rénovation dans les règles de l’art. Au final, ce sont 225 m2 chargés d’histoire qui accueillent les plongeurs. Le cadre est idyllique et le confort au rendez-vous, avec terrasse ombragée, vue sur mer, Wi-Fi gratuit, bar, boutique, douches, toilettes, vestiaires et table photo. Sans oublier la sécurité avec du matériel Aqua Lung en très bon état. Deux bateaux de 15 passagers chacun, Nitrox sans supplément.
Tél. +599 318 54 50 ; www.scubaqua.com
Les plongées
Comptez entre 5 et 20 minutes de bateau pour rejoindre la quarantaine de sites (tombants, récifs, épaves…).
Le caisson le plus proche
Un caisson sur l’île et un autre sur le bateau Statia Responder.
Le cahier des prix
À partir de 1719 € pour 7 nuits, avec vols aller-retour, taxes, petits déjeuners au Old Gin House, les transferts et 10 plongées.
Les +
– Le professionnalisme du centre et son accueil chaleureux
– Les locaux neufs et confortables du centre
– La variété des sites de plongée, leur richesse faunistique et leur excellente préservation
– La diversité d’épaves (du grand câblier aux ancres vieilles de 300 ans)
– Le calme de l’île
Les –
– Le vol non direct (le transit à Saint-Martin est parfois un peu long)
– Pour les fêtards, la destination est fortement déconseillée
Remerciements au TO Ultramarina (tél. 08 25 02 98 02 ; www.ultramarina.com ; agences à Nantes, Paris, Lyon, Marseille et Genève), ainsi qu’au centre Scubaqua Dive Center, à J&P Enterprises (location de voiture) et au St Eustatius Tourism Development Foundation (www.statiatourism.com)