Roberto Rinaldi est né à Rome, le « centre du monde » comme il le qualifie, et qu’il n’a jamais vraiment quitté. Pourtant, le monde, il l’a vu sous toutes ses latitudes. De l’Asie aux Amériques, des pôles aux tropiques, engrangeant à chaque endroit des images pour révéler, montrer ce qui est. Photographe et cameraman qu’il est le gars. Il en a vu des mers, des gens et des poissons. Il leur en a même capturé l’âme. Pas par vol ou esprit de lucre. Juste pour partager avec d’autres. Et sans jamais renier ni sa Méditerranée, ni sa terre, qui l’ont conduit à voir ailleurs.
Plongée Magazine : Comment en es-tu venu à la plongée, la photographie et l’aventure ?
Roberto Rinaldi : Pfffouh, alors là… D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été passionné par la mer et la vie sous-marine. Sans doute les films de Cousteau. Pourtant, je viens d’une famille qui n’a strictement rien à voir avec la mer. Mais je me souviens, je devais avoir à peine 7-8 ans, que je pêchais déjà avec un pote dans les lacs autour de Rome avec de petites arbalètes. Elles étaient trop dures à charger pour les minots que nous étions et du coup, on demandait à des gens sur la plage de les armer pour nous. La photo est arrivée naturellement, presque en même temps. Mon premier appareil photo, je devais avoir 10 ans, était un Kodak Instamatic dans un caisson Mares. C’était une simple boîte ronde avec une poignée sur le dessous et une vitre devant qui laissait passer la lumière des flashcubes.
L’autre passion de ma vie, c’est la montagne. Là encore, aucune prédisposition familiale. Mais à la suite d’une maladie, le médecin de famille avait recommandé une convalescence à la montagne. C’est ainsi que j’ai découvert ce milieu qui m’a conquis et que j’y suis retourné par la suite, mettant à profit mes vacances pour y faire de l’alpinisme, des randonnées et évidemment des photos de la nature qui m’entourait.
Tout cela a fait que, logiquement, je désirais devenir photographe. Mais tout le monde me disait que ce n’était pas un métier. D’ailleurs, dans mon cahier d’écolier, une prof avait écrit un jour : « Mais pourquoi ne veut-il pas devenir pompier ou astronaute comme les autres ? » Du coup, j’ai entamé des études en géologie. Après tout, la géologie, la paléontologie, la sédimentologie, ce sont des sciences naturelles. Pour dresser des cartes par exemple, il faut essayer de comprendre et interpréter les phénomènes naturels. Même s’ils se sont produits il y a des millions d’années.
Comment s’est déroulée la bascule professionnelle ?
R. R. : En fait, le virage décisif, c’est mon entrée dans l’équipe Cousteau. Mes études ont été interrompues par l’armée et je faisais déjà des piges pour des magazines de plongée ou de nature, comme « Airone » ou « Terre Sauvage », quelques publicités, de l’illustration pour des livres, etc. Mais en réalité, cela a été un coup de chance énorme. Après l’armée, j’étais un peu en vrac. Didier Noirot, qui était photographe chez Cousteau, venait de passer au cadre et apparemment, l’équipe Cousteau n’avait pas trouvé de remplaçant en France. Le Commandant a dit : « Regardez en Italie. » L’éditeur italien a demandé autour de lui et, de fil en aiguille, j’ai intégré l’équipe. L’aventure a duré 17 ans et m’a permis de réellement décoller. Mais ce n’était pas un temps plein, les missions variant dans leur durée. Si au début elles ne me laissaient que trois mois à la maison, jusqu’en 1992, par la suite c’était de manière plus aléatoire. Pendant toutes ces années, j’ai donc mené de front deux vies différentes : photographe officiel pour Cousteau et pour mon compte en Italie.
C’est ainsi que j’ai parallèlement commencé à travailler pour la télé italienne. D’abord en écrivant des sujets, puis en commençant à faire des tournages sous-marins de publicités, à Cinecittà, comme la pub Pampers inspirée de Nirvana. Ou encore des documentaires en Arriflex. Chez Cousteau aussi, je prenais la caméra de temps en temps.
C’est là qu’a eu lieu la bascule de la photo au film ?
R. R. : Oui, à peu près. J’ai toujours conservé ces activités parallèles et j’ai bien fait ! Ainsi, après Cousteau, je ne suis pas resté le bec dans l’eau. Il faut dire que dans les années 2002-2012, on avait vraiment beaucoup de boulot. On travaillait comme des fous pour la télé, la RAI, « Thalassa », et en Italie, j’ai été un des premiers à passer en HD. Je continuais la photographie mais cela devenait difficile de mener les deux de front. Je crois que c’est le virage du film au numérique qui a été décisif. Le traitement des images, tout ça, je n’aime pas. L’ordinateur et moi, ça fait deux. Et ce n’est pas possible de vraiment faire bien les deux choses. Du coup, depuis 2008, je ne fais plus de photos, hormis quelques piges pour des magazines. Parce que j’aime malgré tout l’image fixe.
Mais tu n’es pas qu’opérateur. Tu es aussi producteur et réalisateur, non ?
R. R. : Oui, cela fait partie du job. Mais producteur, c’est un vrai métier. En plus, on n’est pas en mer. Du coup, je ne produis que ce qui me plaît. Des petites séries ou des documentaires avec des musées ou des scientifiques par exemple. J’aime raconter des histoires avec la mer pour cadre, mais avec du sens. Si un film me plaît, alors je suis prêt à soulever des montagnes, même s’il s’agit d’un petit film avec un petit budget. Sinon, je passe la main.
En réalité, ce qui me motive, ce sont des sujets bien faits, chiadés comme vous dites, plutôt que des grosses productions de peu d’intérêt. Parce que je peux me le permettre. Ce qui est excitant, ce sont les expériences d’équipe, quand on travaille tous ensemble dans la même direction. D’ailleurs, je travaille toujours avec les mêmes gars, que ce soit en Italie, en France ou en Allemagne, tout en essayant de passer un maximum de temps en mer.
Comment vois-tu l’évolution du métier et ton avenir?
R. R. : Quand j’ai investi dans la 3D, on m’a traité de fou. Certes, chaque heure de tournage pèse 1 To mais pourtant, c’est ce qui m’a sauvé. C’est une autre façon de voir les choses. Je crois aussi à une nouvelle forme narrative où l’humain, l’expédition, la nature et l’aspect scientifique se mêlent. Pour donner du rêve, mais aussi et surtout pour comprendre. Le film sur le cœlacanthe de Laurent Ballesta, « Gombessa », auquel je ne participais pas, ou celui sur la reproduction des mérous que nous avons tourné ensemble en Polynésie vont dans ce sens. Tout en utilisant la technique à bon escient. Par exemple, un ralenti logiciel ou une séquence tournée avec une caméra haute vitesse n’auront pas du tout le même impact pour justifier la temporalité d’une scène.
Le mot de la fin ?
R. R. : Je n’ai ni Ferrari ni Rolex mais je suis heureux. Mon recycleur, mon caisson et la Méditerranée suffisent à mon bonheur. Cette dernière a encore beaucoup à donner. Et Rome est le centre du monde. À quelques heures des plus beaux spots et des plus belles épaves. Tu pars à 9 h du soir, tu dors dans le ferry et le lendemain tu es en Sardaigne. Que demander de mieux ?
Biographie
- 1963 : Naissance à Rome, en Italie.
- 1987 : Termine des études de géologie, débute sa carrière comme photographe et journaliste auprès de divers titres et devient champion d’Italie de photo sous-marine l’année suivante.
- 1989 à 2003 : Il intègre l’équipe Cousteau comme photographe terrestre et sous-marin. Enchaîne les missions à bord de Calypso et d’Alcyone (Indes, Similan, Andaman, Sumatra…).
- 2004 : Perfectionne son expérience du recycleur, devient instructeur CCR puis Technical Instructor TDI, obtient une certification de scaphandrier Classe II à l’INPP de Marseille.
- 2005 : Après avoir été consultant pour la RAI (TV italienne), se lance dans la production et la réalisation de documentaires télévisés.
- 2006 : Photographe sur le tournage du film « Océans » de Jacques Perrin, réalise quelques documentaires sous-marins pour la RAI et des photos publicitaires pour l’horloger Suisse IWC.
- Depuis 2007 : Se consacre depuis à l’image animée, essentiellement comme cameraman pour des documentaires, fictions ou films corporate pour des télévisions italienne, allemande, française ou anglaise, ainsi que pour diverses sociétés de production ou organismes d’État. Parallèlement, il s’investit également dans des productions personnelles en tant qu’auteur, réalisateur et producteur. A également participé à plusieurs tournages en 3D comme chef opérateur.
Du tac au tac
Ta plus grosse frayeur ?
On ne la vit jamais. Pourtant, j’ai déjà été dans des situations limite. Sur l’Andrea Doria, avec la cartouche de chaux du recycleur noyée et tous les paliers à effectuer ; dans une épave en circuit ouvert où les bulles faisaient s’effondrer les tôles sans espoir de retour ; en Patagonie où le courant nous entraînait sans qu’il soit possible de s’accrocher à la glace au point de fonte. Dans ces cas-là, tu agis. Sans réfléchir, comme si tu voyais le truc au cinéma. C’est après que tu as peur.
L’image ou la séquence dont tu es le plus fier ?
La dernière. Ou peut-être la première photo d’un éléphant qui nage publiée sur trois pages dans le National Geographic. Ou encore celle de la soucoupe plongeante à 100 mètres.
La plus difficile ?
Paradoxalement, celle avec le régalec. Parce que c’est un peu un truc de dingue. Il faut vraiment y croire de toutes ses forces pour le trouver. Ou alors celle du nautile, avec Laurent. Le réalisateur nous avait poussés à tourner quasiment sans éclairage. Du coup, c’était à la fois stressant et difficile.
Ton plus beau moment ?
Il est multiple, et pas précis. C’est quand tu rentres dans l’eau et que tu bascules dans le bleu. Il est partout et jamais le même. Mais c’est un bleu électrique que l’on ne ressent jamais à la remontée. Un moment indéfinissable.
Retrouvez le texte de Daniel Deflorin dans Plongée Magazine n°69. Photos Roberto Rinaldi sauf mention contraire