11 PALMES D’APNÉE TESTÉES EN MER

Par Patrick Marchand.
Photos  : Gérard Duc et Patrick Marchand. Vidéo : Pascal Granger.
Montage :  Philippe Istria.

 

Une palme, comment ça marche ?

D’une manière générale, et sous réserve que l’on ait les jambes pour la mettre en action, plus une palme a une surface importante, plus la force propulsive qu’elle va générer sera importante. Et puisque l’on ne peut pas élargir les palmes sans qu’elles ne se touchent à chaque croisement, il faut les allonger pour augmenter la surface. La force propulsive lors du palmage est une réaction à la force exercée par l’eau sur la voilure. Dans l’absolu, en imaginant une planche parfaitement rigide qui se déplace de haut en bas, parfaitement à l’horizontale dans une couche d’eau ou de n’importe quel fluide, on obtiendra une force propulsive nulle, action et réaction étant de même force, par nature, et de sens parfaitement opposées.

En revanche, dès lors que l’on applique une courbure à la voilure de cette « planche » devenue une palme, la réaction sera orientée selon un angle égal à l’action de l’eau par rapport à la tangente de la courbe de la palme. Montez, descendez, moooontez, deeeescendez. Cette succession de réactions vers l’arrière du palmeur devient sa force de propulsion.
L’action sera directement dépendante de la résistance de la voilure à la force de l’eau, donc plus la voilure sera raide et plus vous dépenserez d’énergie pour la faire bouger et se courber, plus vous obtiendrez de force propulsive. Encore faut-il avoir cette énergie dans les mollets… Tout redevient affaire d’équilibre : ni trop, ni trop peu.
A partir de là, il faut considérer, pour chaque demi mouvement – une descente, une montée -, 3 étapes :
– Au début du mouvement, toute l’énergie est consacrée à vaincre la résistance de la voilure, donc à la faire plier.
– Ensuite, l’ensemble jambe-voilure pliée commence à se mouvoir, le mouvement devient propulsif et consomme toujours de l’énergie.
– Enfin, on arrête le mouvement, il n’y a plus de dépense d’énergie, mais la palme est toujours pliée et c’est là que la magie intervient : en reprenant toute seule sa forme initiale, la voilure va continuer seule le mouvement et rester propulsive.
Terminée la descente. Maintenant, on remonte selon le même principe.
C’est là que le matériau prend toute son importance. Il faut que la matière de la palme la pousse à reprendre sa forme initiale, et plus cette mémoire de forme sera rapide, moins on risquera que le mouvement de fouet ne soit pas encore achevé quand le plongeur va inverser son mouvement.

Et le carbone fut…

Et à ce jeu, la fibre de carbone est reine : selon l’orientation des fibres utilisées, le grammage du tissu, la résine, la température de cuisson, on peut obtenir à volonté des feuilles fines, légères, à la déformation contrôlée par la déclivité des couches de tissus, et surtout à la mémoire de forme absolue et très nerveuse. C’est cette nervosité qui va accélérer le coup de fouet et qui, tout en autorisant des déformations importantes, va permettre au mouvement de s’opérer avec un rendement s’approchant de l’idéal.

 

 

Là, les limites…

Car il y en a.

La première : le prix! La fibre en elle-même coûte cher, et les tissus obtenus avec cette fibre le sont donc proportionnellement. La résine de liaison, l’époxy le plus souvent, n’est pas donnée et la mise en œuvre relativement artisanale est aussi onéreuse. Prix d’entrée pour une palme plastique : 55 euros ; pour une carbone, c’est 250 euros, soit 5 fois plus. Comme vous le découvrirez dans les colonnes de Plongeurs International avec le témoignage et les notes de nos testeurs, le résultat sans appel est en faveur du carbone, mais il a un coût.

 

Ensuite, la fragilité ! Ou plutôt une certaine fragilité. La fibre de carbone est d’une extrême résistance, quasiment celle du diamant, mais dans un axe seulement, d’où l’importance du tissage et la compression, le plus souvent sous vide, au moment de l’imprégnation par la résine. Mais elle est aussi très cassante dans l’axe. Si l’on peut quasiment rouler ces voilures sur elles-mêmes, elle sont peu résistantes aux chocs aux extrémités. Un coup de palme dans le mur de la piscine ou contre une patate de corail peut casser la fibre assez facilement, donc gare aux contacts !

 

En vidéo, passage en revue des 11 palmes essayées.

La Beuchat Mundial Elite.
Plastique. 136 euros

 

La voilure plastique est assez rigide. Le plongeur doit fournir un effort tout au long du déplacement de la voilure qui se cintre assez peu. C’est un appui et donc un effort constant sur toute l’amplitude du palmage. Cet effort limite aussi l’amplitude de palmage que le plongeur peut atteindre.

 

La Beuchat Mundial Carbone LS.
Fibres de carbone. 329 euros.

 

Au contraire de la précédente, la voilure étroite et longue en fibres de carbone tissées de la Mundial plie immédiatement dès que le plongeur entame son mouvement de palmage. Pendant tout le mouvement, la voilure est très cintrée et offre donc très peu de résistance à l’effort. En fin de cycle, la nervosité de la fibre de carbone achève le mouvement avant même que le plongeur n’attaque le mouvement inverse. Moins d’effort pour un mouvement plus ample : le rendement grimpe en flèche. On remarque aussi la progressivité du mouvement d’ondulation de la palme pilotée par les nervures latérales : la voilure se déforme de plus en plus à mesure que l’on s’éloigne du chausson. Sur la photo d’ouverture, on remarque même une « cassure » à l’endroit où la nervure latérale s’arrête.

Cressi Gara Modular Carbone
Fibres de carbone. 459 euros

 

La Gara Modular doit son nom à sa voilure interchangeable, comme la Beuchat précédente. La voilure carbone est l’une des plus puissantes de ce test, longue, plus large que la moyenne, avec une surface de propulsion très importante. La déformation de la voilure est très régulière malgré la présence de nervures latérales assez imposantes, comme sur la plupart des palmes démontables. La mise en action est très rapide, la déformation étant moins importante que sur une voilure plus souple. Le mouvement est totalement achevé quand on inverse le palmage, et le rendement est donc excellent.

 

Go N Sea Black Squal Carbone
Fibres de carbone. 255 euros.

 

La Go N Sea Black Squal est la plus longue palme de ce test. Sa voilure est aussi la plus souple parmi les palmes carbone. Dès le début du mouvement, la déformation est immédiate.  Le cintre de la palme est aussi important à la montée qu’à la descente, et l’ondulation est assez régulière, mais on remarque bien l’intérêt des nervures latérales collées (voilure non démontable) pour initier ce mouvement . Les nervures entraînent la voilure pour provoquer immédiatement le pliage, et c’est le moment où le plongeur doit produire son effort. Ensuite, la palme pliée résiste peu et, en fin de cycle, la fibre fouette rapidement l’eau pour revenir à sa position de repos avant l’inversion du sens de palmage.

Imersion E-Green
Plastique. 78 euros.

 

On retrouve sur la E-Green  un mouvement classique avec les palmes plastique dont la voilure se déforme moins que le carbone et demande donc un effort constant d’un bout à l’autre du mouvement. La voilure de l’Imersion est assez nerveuse, la déformation très progressive. Observez bien le rayon de courbure qui s’accroît sensiblement dès que la voilure n’est plus soutenue par les nervures latérales collées, permettant à cette pointe de fouetter assez bien en fin de cycle.

Imersion Freediving spirit
Fibres de carbone. 359 euros.

 

Dans une gamme très complète de palmes en fibres de carbone tissées, Imersion a choisi de nous confier cette Freediving Spirit signée du champion Stéphane Mifsub pour sa polyvalence. C’est l’une des palmes les plus puissantes que nous ayons eues en main, et la vidéo montre bien le coup de fouet extrêmement rapide et sec. Dès que le plongeur commence son mouvement, la partie de la voilure au-delà des nervures de rigidité collées se déforme de manière remarquable et, à peine à mi-chemin du mouvement, le coup de fouet a déjà rattrapé la courbure au point que certaines photos, comme celle d’ouverture de cette vidéo, montrent la palme quasiment en double ondulation. Si la fibre de carbone montre sa nervosité, c’est bien sur ce modèle.

Mares Razor Pro.
Plastique. 105 euros.

 

La gamme de palmes longues Mares est assez complète, mais un problème de disponibilité nous a empêchés de disposer de la version en fibres de carbone. Le chausson de la Razor est donc ici équipé de la voilure classique en plastique en version Pro. La matière de cette voilure est très nerveuse pour un technopolymère classique, comme on peut le voir sur la vidéo. L’extrémité de la palme, la partie au-delà des nervures de renfort, se courbe presque comme une voilure carbone et le coup de fouet, sans atteindre la nervosité du carbone, est remarquable. C’est avec la voilure plastique Omer (voir plus loin) l’une des deux palmes plastique que nous avons testées dont le comportement s’apparente à des fibres beaucoup plus nerveuses, bien que la rigidité de cette matière limite quand même l’amplitude de palmage.

Omer Stingray Black.
Plastique. 99 euros.

 

Sur un chausson modulaire qui peut recevoir toutes les voilures du groupe Omer-Sporasub, nous avons eu en main la Black en technopolymère et la carbone, à suivre. Cette voilure est l’une des plus longues en plastique de ce test. La forme ondulée semble avant tout conçue pour servir de guide latéral mais, à l’évidence, ce moulage a aussi permis de donner à cette palme une nervosité exceptionnelle pour du plastique. La vidéo montre une ondulation très proche des attributs d’une palme en fibres de carbone : déformation très accentuée au-delà de la nervure latérale, et coup de fouet très rapide en fin de mouvement. On remarque d’ailleurs que l’amplitude du mouvement est très importante pour une voilure plastique. C’est sans aucun doute la plus « typée fibre » des palmes classiques.

Omer Stingray Carbone 20.
Fibres de carbone. 319 euros.

 

La voilure Carbone Omer est disponible en deux duretés, et nous avons essayé la « 20 » –  soit la plus souple des 2 – plus polyvalente. D’abord, on notera que le changement de voilure n’est pas compliqué d’un point de vue mécanique, mais que la rigidité de l’ensemble des matériaux rend l’opération un peu fastidieuse. Assez en tous cas pour considérer que les voilures interchangeables sont une bonne solution pour limiter le coût de changement d’une voilure cassée, mais pas une astuce de rangement ! La Stingray Carbone 20 est une palme « facile » et pas trop typée. On voit sur la vidéo que la déformation est plus régulière que sur beaucoup d’autres palmes carbone. Un peu à la manière de la Cressi Gara Modular Carbone, cette Omer se déforme sur l’ensemble de sa longueur sans réelle cassure au niveau de la fin des nervures, pourtant rigides. En conséquence, le coup de fouet est très rapide mais sans les à-coups caractéristiques des voilures les plus radicales, comme l’Imersion ou la Pelizari. Regardez bien ! La voilure est encore cintrée quand le plongeur commence son mouvement descendant. Pourtant, la palme termine son mouvement avant d’entamer le chemin du retour. C’est aussi une voilure qui sera plus tolérante si l’on adopte un palmage court, avec lequel les voilures plus radicales ont tendance à renvoyer une vibration due à l’inversion du mouvement dans la jambe du plongeur.

Omer Umberto Pelizzari. UP-F1
Fibres de carbone. 559 euros

 

C’est sans doute la palme la plus radicale de ce test. La voilure en fibres de carbone est moulée avec un angle très important, le plus important de toutes les palmes que nous avons testées. Et, surtout, l’angle de cette voilure n’est tenu ni par le chausson ni par les nervures latérales qui démarrent au-delà du pli. La conséquence, c’est que rien n’altère la nervosité du carbone au niveau de ce pli qui se comporte comme une réserve d’énergie. Regardez le mouvement! A la remontée, la voilure est une carbone classique qui se déforme de manière assez linéaire. On sent quand même que c’est aussi une voilure assez rigide, puissante, ce qui se confirme en mer. Mais l’angle de départ extrême auquel la voilure revient quasi instantanément en fin de mouvement place la voilure en position propulsive avant même que le mouvement de nage ne commence à la cintrer, simplement parce qu’elle est déjà pliée au repos.  Et le phénomène est accentué par le fait que cette partie libre de la fibre au niveau du pli améliore encore la vitesse du coup de fouet et le retour de la palme à sa position de départ.

Subea SPF500.
Plastique. 55 euros

 

La palme la moins chère de ce test est une voilure plastique avec chausson moulé et collé, dans la tradition des palmes d’apnée à voilure technopolymère. La voilure est l’une des plus courtes de ce test, et sa forme en V à la pointe est là pour l’empêcher de déraper. L’action est très régulière : peu ou pas d’effet de pointe au-delà des nervures latérales. Le roulis du plongeur montre bien que la voilure est assez rigide et qu’il faut appuyer dessus pour la mettre en mouvement, ce qui est le cas de la plupart des palmes classiques du marché. Néanmoins, elle est assez nerveuse et, sous réserve de garder une bonne amplitude au mouvement, la palme revient bien à sa position de repos au moment de l’inversion du sens de palmage. A l’observation de la vidéo, on retrouve bien la paternité de cette palme Subea dans le modèle plastique de Imersion, la E-Green, qui sort des mêmes ateliers.

Alors, laquelle choisir ?

A la lumière de nos essais, il faut reconnaître qu’il y a un monde entre une Subea à 55 euros et une Omer UP-F1 à 549 euros. D’abord, précisons que si l’on parle de rendement, c’est-à-dire, rappelons-le, du rapport entre l’énergie dépensée par le plongeur et l’énergie restituée par la palme, les voilures en fibres de carbone sont à des années-lumière devant le plastique. Et cela quel que soit votre niveau, et sans qu’il soit nécessaire d’apprendre à palmer différemment. Pour aller plus loin, je pense même qu’il est plus facile pour un novice, ou un plongeur bouteille qui n’a jamais mis de palmes longues,  d’utiliser une voilure carbone qu’une palme longue en plastique. Tout simplement parce que les voilures en fibres de carbone ne tirent pas leur efficacité de leur rigidité, mais de leur nervosité: la voilure plie facilement, mais revient si vite à sa position de repos qu’elle termine le boulot toute seule.

Donc, si vous décidez de vous mettre sérieusement à l’apnée, ou d’améliorer sensiblement vos performances, la fibre de carbone se justifie pleinement.

Pour les sportifs, ou ceux qui ont des jambes de sportifs, les palmes les plus puissantes – de ce test – sont la Omer UP-F1 et la Imersion Freediving Spirit. Le rendement est excellent, mais comme on l’a vu plus haut, rendement veut dire restituer l’énergie que l’on consacre au mouvement. Encore faut-il en avoir à lui consacrer! Juste derrière, en termes de puissance, la Omer Stingray Carbone, la Beuchat Mundial Carbone LS et la Go N Sea Black Squal, avec une mention spéciale pour le rapport qualité prix de la Go N Sea, la palme carbone la moins chère de ce test, et juste derrière, la Cressi Gara Modular Carbone.

Mais reste le prix. Si l’on veut s’en tenir à une pratique occasionnelle, ou si l’on veut découvrir l’apnée avant d’investir, ou encore si on ne se juge pas assez soigneux pour prendre soin de ses voilures en fibre de carbone, alors la Imersion E-green se révèle d’une puissance remarquable pour une voilure classique. Quant à la Subea, comme tous les produits vendus par le réseau Decathlon, elle affiche un rapport qualité/prix imbattable.

Ces essais ont été réalisés pendant la campagne de tests 2018 de Plongeurs International en mer Rouge. L’opinion des testeurs, les notes attribuées critère par critère à chaque modèle, sont disponibles grâce à la lecture en ligne du magazine Lire Plongeurs International en ligne

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