Lettre ouverte à Monsieur le ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, en réaction à l’augmentation des capitaux alloués à la pèche aux requins autour de l’île de la Réunion.
Monsieur le ministre,
Pour être honnête, je ne suis pas un fervent partisan du gouvernement auquel vous appartenez, ni de votre Président. Par nature, je ne crois pas à la providence, ni par conséquent à l’homme providentiel, m’appuyant de plus sur l’Histoire pour remarquer que chaque fois qu’un sauveur de l’humanité, ou du moins du peuple, s’est présenté, l’expérience s’est terminée sinon dans l’horreur, du moins dans la désillusion.
Mais pour avoir eu la chance de vous croiser une fois ou deux, pour avoir même, dans une autre vie, un peu travaillé pour vos émissions, je sais que comme nous, plongeurs, amoureux de la nature, c’est par l’observation de cette nature que vous est venue l’envie de l’admirer d’abord, le goût de la protéger ensuite. Je ne mets en aucune façon en cause votre sincérité dans ce combat, et même, je ne partage pas l’opinion de ceux qui mélangent tout et n’importe quoi en vous accusant de maux ridicules, et sans fondement pour qui réfléchit un peu. En devenant ministre, vous avez pris un gros risque, et c’est tout à votre honneur, mais la nature d’un homme politique le pousse à vouloir être élu, comme la nature d’un animal sauvage le pousse à se nourrir. C’est pourquoi il faut plutôt se méfier de la première espèce. Se faire élire, et plus encore réélire, est une activité à part entière qui laisse peu de temps pour l’action, la vraie, celle qui peut changer l’ordre des choses, et peu de place à l’intelligence, la vraie, celle qui permet de comprendre le monde, ce qui devrait paradoxalement être le propre de l’action publique. Dans un combat qui nous est cher, celui de la sauvegarde de la biodiversité en général, de la faune aquatique en particulier, il est une situation intolérable qui non seulement perdure, mais enfle à mesure que les deniers publics affluent : la crise requin de la Réunion. Je ne suis pas un expert, mais je sais une chose indiscutable que la science a prouvé : les requins mis en cause dans cette affaire se déplacent sur des distances si considérables qu’il est illusoire de prétendre les éliminer tous. Un grand marin, et un grand homme public, Jean-François Deniau, utilisait cette image de la mer d’arrière qui vient inexorablement combler le sillage creusé par un navire. Il en est de même avec ces mesures d’abord prises, ensuite confirmées, et désormais amplifiées par des capitaux supplémentaires concernant la crise requin. Sauf à prétendre parvenir rapidement à une extinction pure et simple de l’espèce, ces mesures n’arrêteront pas les squales. Tout simplement parce que les animaux sauvages n’obéissent qu’à deux instincts : la reproduction et la nourriture. À mesure que ceux-là seront « prélevés » – terme imagé pour cacher le véritable sens de ces exécutions punitives -, d’autres viendront, pour les mêmes raisons.
S’il vous plaît, Monsieur le ministre, usez de votre pouvoir pour que cessent ces actions ridicules et contre-productives. Négligez les quelques centaines de voix achetées à coups de subventions à quelques individus bien placés pour privilégier le bon sens. Usez de votre pouvoir pour que l’on utilise mieux les millions de la nation en construisant, par exemple, un système d’assainissement des eaux usées moderne pour la Réunion, plutôt que subventionner la mort d’animaux innocents. Tout le monde sait que ce qui a le plus changé à la Réunion en 25 ans, ce n’est pas l’humeur des requins, qui serait soudainement devenue plus belliqueuse, mais la démographie, dont l’augmentation a conduit à une situation sanitaire très dégradée et à l’exigence, par une population de plus en plus importante, du privilège de l’accès au milieu marin et aux activités balnéaires. Vos confrères de ce gouvernement ont montré qu’il suffit d’une signature sur un décret pour imposer des changements radicaux de certaines habitudes. Montrez-nous que ces mêmes décrets peuvent aussi œuvrer à la protection du vivant !
Monsieur le ministre, c’est aussi une affaire de morale : une population minoritaire qui se ferme sur elle-même par l’utilisation d’une langue incompréhensible par ses compatriotes, qui prétend à la souveraineté sur un territoire dont elle veut jouir sans contrainte ni obligation, et qui affirme savoir ce que même la science ignore aux seules fins de ponctionner un peu plus d’argent public, ne peut pas avoir gain de cause dans cette histoire. Écoutez les scientifiques auxquels vous avez si souvent donné la parole dans votre carrière. Expliquez à vos collègues, un de ces mercredis, que les voix qu’ils perdront chez les va-t-en-guerre de la pêche subventionnée, ils les retrouveront au centuple lorsque, ensemble, nous aurons expliqué au reste de la population le sens de votre action. Une fortune est en train d’être investie à la Réunion pour construire une route pharaonique estimée à 130 millions d’euros le kilomètre, afin de répondre à une demande surannée de plus d’automobiles. Alors je vous propose cette idée : faites comme si cette route devait mesurer un kilomètre de plus et consacrez cet équivalant kilomètre au lancement, par exemple, d’un plan de construction d’infrastructures d’assainissement. À la moindre pluie — et il pleut beaucoup à La Réunion —, les ravines cesseront peut-être de transformer la bande littorale en zone d’équarrissage si attractive pour le carnassier opportuniste qu’est le requin. On pourra alors décider si on a changé quelque chose à cette fameuse crise. Car, pour le moment, force est de constater que malgré l’augmentation des prélèvements, la crise requin est toujours là.
Pour finir, permettez-moi, Monsieur le ministre, de me remémorer votre livre, Le Syndrome du Titanic. Ne croyez-vous pas que cet acharnement à amplifier des mesures qui se sont d’ores et déjà révélées improductives relève encore une fois de cette implacable logique qui consiste à accélérer à mesure que le danger approche ? Alors, pourquoi ne pas explorer une autre voie, tenter une autre approche ? L’abandon, sur ordre du Conseil d’État, du très pertinent décret de votre prédécesseur, madame Ségolène Royale – et je peux vous assurer qu’il ne s’agit pas là d’une marque d’allégeance politique de ma part -, concernant les bassins d’exhibition de mammifères marins devrait constituer la seule erreur de ce quinquennat en matière de protection animale. N’y ajoutons pas la condamnation des requins de l’océan Indien car, à moins d’inventer des frontières étanches au milieu de l’océan, c’est la prétention de ce combat douteux.
Nous comptons sur vous, Monsieur le ministre.
Très respectueusement.
Patrick Marchand
Rédacteur en chef
Plongeurs International