En juin, depuis trois ans, le centre Plongée Bleue de Banyuls-sur-Mer accueille des adolescents autistes venus de la région parisienne. Une initiative louable, rare et très bien encadrée, qui vient couronner toute une année de travail en piscine et en fosse. Chacun à leur rythme, ils découvrent les joies de l’immersion et apprennent même à nager.
La mer est d’huile dans la petite crique du cap l’Abeille. Des conditions idéales pour Jordy, Quentin, Yohan, Alias et Marc-Olivier (Marco), cinq beaux gaillards âgés de 13 à 19 ans, installés sur le bateau de Plongée Bleue. Cinq adolescents qui souffrent d’autisme sévère, autrement dit, ils communiquent et interagissent très peu de manière conventionnelle. Tous sont pris en charge par l’Institut médico-éducatif (IME) Jean Richepin de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis).
Fraîchement arrivés dans la région, c’est aujourd’hui leur deuxième sortie en mer. Étape numéro un : finir de s’équiper. Marco est le premier à se livrer à l’exercice. Enfiler les manches de la combinaison, chausser les palmes, mettre le masque, rien n’est simple. Mais ses “anges gardiens” – Pascal, le psychologue de l’IME, Hugo et Delphine de Plongée Bleue – lui prêtent main-forte. Avec mille attentions et beaucoup de douceur. Pas question de stresser leur protégé. Marco s’immerge avant les autres. Hugo l’accueille dans l’eau avec un grand sourire et moult encouragements. Puis, escorté par Hugo et Pascal, Marco s’éloigne du bateau et nage vers la côte. Dès qu’il se sent plus à l’aise, Hugo l’aide à enfiler la stab et lui met le détendeur en bouche. C’est parti pour une balade près des rochers, à la découverte des petits fonds marins.
Tout près de la surface
“On y va progressivement, précise Julien Lebot, directeur de Plongée Bleue. L’objectif, c’est d’abord qu’ils retrouvent leurs marques avec le matériel, qu’ils s’adaptent à la température de l’eau. Ensuite, si tout va bien, on leur met le bloc. Mais ce n’est pas systématique. On fonctionne beaucoup au feeling. Qui plus est, on ne peut pas leur expliquer la manœuvre de Valsalva et il est bien sûr hors de question qu’ils aient un problème de tympan. Du coup, on reste très près de la surface.”
Chacun des jeunes a un vécu différent de ses compagnons. Yohan, par exemple, se contente de respirer dans le détendeur en prenant appui sur la stab et le bloc. Pour Jordy, la mise à l’eau ne se fait pas sans peine et sans cris. Pourtant, il semblait très détendu sur le bateau. Élodie, une des éducatrices, avance : “On pense qu’il nage en mer pour la première fois”. Après quelques minutes, Hugo parvient à le calmer, à l’équiper et à le faire descendre à un mètre sous la surface. Lorsqu’il remonte sur le bateau, le jeune garçon affiche une mine réjouie qui en dit long sur le plaisir qu’il a dû éprouver.
Le sourire de Jordy est sans doute l’une des plus belles récompenses pour l’équipe de l’IME et les moniteurs. En particulier pour Estelle Jondot, l’éducatrice sportive spécialisée qui a lancé l’idée de faire plonger les jeunes de l’institut il y a trois ans. “Je voulais leur faire faire une activité liée à l’eau. J’ai pensé à la plongée, tout en étant consciente que ce serait un véritable défi. Mais je souhaitais montrer que l’on peut proposer n’importe quelle activité à des autistes, à partir du moment où l’on adapte la pratique à leur handicap et à leur personnalité.” Estelle s’est tout d’abord mise en quête d’un moniteur. Et Julien a répondu sans hésiter. “J’ai été éducateur spécialisé avant d’être moniteur de plongée, souffle-t-il. J’avais déjà travaillé avec des autistes, mais plutôt de type Asperger* avec lesquels la communication était facile. Avec les jeunes de l’IME, je ne pouvais pas envisager une formation traditionnelle. J’ai plutôt pensé à des ‘ateliers plongée’ qui peuvent accompagner le travail des éducateurs.”
Une fois le moniteur trouvé, Estelle a dû convaincre son entourage professionnel du bien-fondé et de la viabilité de sa démarche. Ce ne fut pas une mince affaire. C’est à ce stade que Pascal Bouchet, le psychologue de l’institut, l’a rejoint. Les dés sont lancés. Dans un premier temps, il faut apprendre à nager aux jeunes. Ils suivent donc des cours à la piscine de Villiers-sur-Marne. “Après trois ans d’entraînement, onze des vingt jeunes de l’IME nagent”, se réjouit Estelle. En parallèle, les adolescents se familiarisent avec le matériel, souvent via des techniques ludiques (par exemple, jouer au ballon en portant un masque et un tuba !), à l’IME ou à la piscine. “L’utilisation du tuba est une étape difficile, souligne Estelle. Il faut qu’ils comprennent qu’ils doivent le serrer entre les dents. Parfois, ça prend du temps.” Enfin, chaque année, plusieurs séances sont programmées à la fosse de Charenton pour une première approche de la plongée, avant de mettre le cap une semaine vers les Pyrénées-Orientales où plusieurs sorties en mer sont prévues.
D’énormes bénéfices
Depuis trois ans, ils sont huit à avoir goûté aux plaisirs de l’immersion en Méditerranée. Ces séjours ne peuvent bien sûr avoir lieu qu’avec l’aval des médecins – un certificat médical d’un généraliste et d’un psychiatre sont indispensables – mais aussi avec l’autorisation des parents. “Les parents n’ont pas trop idée de ce qu’est la plongée, raconte Estelle. Quand on leur montre les films, quand ils viennent à la fosse de Charenton, ils sont épatés de voir ce que leurs enfants sont capables de faire.” Au-delà du regard valorisant de l’entourage, les adolescents retirent bien d’autres bénéfices de l’expérience. “La plongée n’est certes pas une activité facile, mais en tout cas ils arrivent tous à en retirer quelque chose, chacun à leur niveau et à leur rythme, précise Pascal, le psychologue. Ils ont appris à nager et à maîtriser un peu la plongée, c’est déjà énorme. Ça leur permet aussi de côtoyer d’autres personnes et c’est important, car le handicap isole.” Il poursuit avec les “incidences dans la vie quotidienne. Par exemple, on a pu travailler l’autonomie par rapport à la douche grâce aux séances à la piscine. Notre rôle est de rendre ces jeunes les plus autonomes possible, même s’ils auront toujours besoin de quelqu’un à leurs côtés”.
Mais l’une des plus grandes fiertés des éducateurs, c’est que Marco fasse désormais partie du club de plongée du CSMB à Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne). “C’était inimaginable en début de projet !, assure Estelle. C’est un club extraordinaire, qui accueille des handicapés physiques. Marco est le seul handicapé mental. Je l’accompagne, mais je lui sers uniquement de repère. Il suit désormais très bien le moniteur.”
Impossible n’est pas français
“Un jeune handicapé mental qui intègre un club de plongée, on peut dire que c’est une sacrée avancée dans le monde de la plongée, observe Julien. Depuis 2012, les handicapés trouvent enfin leur place légalement dans cet univers. C’est certes plus simple lorsqu’on aborde le handicap moteur. L’absence ou l’altération de la communication dans le cas du handicap mental complique bien sûr les choses, mais ne les rend pas impossibles. À condition d’avoir une pratique très adaptée et sécurisée.”
Du côté de l’IME, Estelle, Pascal et leurs collègues éducateurs ne sont pas près de baisser les bras. Ils songent désormais à organiser deux séjours par an à Banyuls-sur-Mer, histoire d’amener le plus possible de jeunes autistes tremper leurs palmes dans la Grande Bleue.
“S’adapter à la capacité de chacun”
Christophe Daclin, médecin psychiatre, exerce dans une clinique privée de Perpignan qui accueille des enfants souffrant de troubles neurodéveloppementaux. Il a encadré en 2009 un programme d’initiation à la plongée pour de jeunes autistes et son mémoire de DIU (diplôme interuniversitaire de 3e cycle) porte sur la plongée subaquatique avec des enfants présentant un handicap mental. Il a également participé à quelques plongées proposées par Plongée Bleue aux jeunes de l’IME Jean Richepin.
Pouvez-vous définir l’autisme en quelques mots ?
L’autisme se caractérise par des relations sociales perturbées, des troubles dans la communication et au niveau des centres d’intérêt.
Quels sont les points importants à considérer pour faire plonger de jeunes autistes ?
Il ne faut pas se fixer d’objectifs de soins et s’adapter à la capacité de chacun. On se contentera par exemple de proposer de la randonnée palmée à ceux qui présentent de grosses déficiences.
Qu’est-ce qu’ils peuvent retirer de la pratique de la plongée ?
Il faut se méfier de tous les fantasmes véhiculés sur les bienfaits de l’eau sur le handicap mental. Cela dit, la plongée est une ouverture vers une activité originale et sociale. Elle induit une mobilisation de l’attention, sur l’utilisation du matériel, sur la découverte du milieu, sur l’apprentissage d’une technique. Elle favorise aussi les échanges individuels qui sont préférables aux activités de groupe dans ce genre de pathologie. Et puis, bien sûr, elle permet d’accéder au plaisir d’être dans l’eau, d’avoir des moments de vie partagés.
*Forme d’autisme qui se caractérise par des difficultés dans les rapports sociaux, associée à des intérêts restreints et des comportements répétés.
– Contact : Plongée Bleue, à Banyuls-sur-Mer. Tél. 06 78 16 67 51 et 06 81 35 96 49 ; www.plongeebleue-sud.com
Texte Elisabeth Mauris, photos Fréderic Larrey