La plongée tek s’affiche de plus en plus. Elle fait encore peur à certains, elle en fait rêver d’autres. Dans tous les cas, elle ne laisse personne indifférent. Objet de tous les phantasmes, après des débuts laborieux en France, nul ne peut contester un certain développement, elle occupe les esprits et le terrain. En témoignent le progrès des agences de certification ou la surface et l’intérêt qu’elle suscite sur le Salon de la Plongée par exemple. Pour autant, autrefois cantonnée à un cercle restreint de tekkies purs et durs ou d’initiés, la plongée tek se démocratise-t-elle réellement ? D’un marché de niche, celui-ci se traduit-il réellement par une augmentation en volume au point de devenir un vrai marché ? Plongée Mag fait le point.
Défricheur hexagonal, Tek Plongée à Nantes avec François Bedeau et Yann Ségalou est le premier commerce spécialisé, il y a près de 18 ans, avant que celui-ci ne s’émancipe avec Segytek en conservant la distribution exclusive de l’Américain Dive Rite, alors leader du marché. Car c’est bien d’outre-Atlantique que la plongée tek s’est épanouie avec ses organismes de formation, ses fabricants et ses médias spécialisés dès la fin des années 1980. Tant il vrai qu’aux États-Unis un marché de niche constitue un marché à part entière où d’obscurs petits ateliers peuvent rapidement muer en entreprises nationales ou internationales. En ce début de XXIe siècle, assiste-t-on au même processus en France ?
Pour François Bedeau, de Tek Plongée : « Pas vraiment. Au début, nous ne travaillions que sur le marché tek avec OMS et Dive Rite avant que Yann ne reprenne la distribution de Dive Rite de son côté. Grande différence par rapport aux autres acteurs du marché français, Tek Plongée ne travaille qu’avec des magasins et ne fait pas de vente aux particuliers. Or il y a aujourd’hui trop de décalage avec ceux qui vendent en direct. À cela s’ajoute le fait que OMS nous livre mal. Finalement ce dernier point est plus problématique que la concurrence. Lorsque nous sommes livrés, nous n’avons aucun mal à écouler ce matériel en magasins. Ces derniers sont bien conscients qu’une partie du marché leur échappe et nous leur permettons de faire le joint. Nous avons diversifié notre offre avec Custom Divers ou des accessoires, mais pas avec la même image ni les mêmes marges. D’autre part, les vrais tekkies se tournent désormais vers les recycleurs. Finalement aujourd’hui les vrais clients sont plutôt les administrations (pompiers, protection civile…) qui apprécient ce matériel pour leur qualité mais aussi les équipements annexes tels que blocs carbone, éclairages, etc. Même si en développement, la plongée tek ne représente aujourd’hui que 15 % de notre CA aux côtés de nos autres marques (Coltri, Ikelite…). »
Yann Ségalou de Segytek est lui resté centré sur ce marché spécifique, ajoutant d’autres matériels à son portefeuille Dive Rite, tels que les propulseurs DiveXtras, l’électronique, les accessoires, etc. : « On continue à se développer avec un excellent premier semestre 2013 à + 25 %. On commençait toutefois à sentir une baisse juste avant l’incendie qui a détruit nos locaux, n’arrangeant évidemment pas les choses. Dans tous les cas, force est de constater un tassement des ventes avec un effet crise pour revenir aux chiffres de 2011. Pour l’an prochain, nous somme encore dans l’expectative. Mais la demande est là, même si les gens sont un peu attentistes. Nous tirons notre épingle du jeu par notre image de spécialistes. Par rapport aux généralistes, outre la connaissance des produits et le stock, nous pouvons proposer tous équipements de A à Z. Un argument de poids dans un marché qui s’est considérablement élargi, non seulement en présence de nouveaux concurrents, mais aussi et surtout du nombre et du type de pratiquants. La plongée tek n’est plus l’apanage de vrais tekkies. Le sidemount ou la plongée souterraine sont, à titre d’exemple, en expansion. Le marché a lui aussi évolué. Avant, 75 % de nos ventes étaient en direction des revendeurs, aujourd’hui nous sommes à 50/50 avec la vente directe. »
Le marché de la plongée tek poursuit donc en France une progression lente mais continue. Pas étonnant que de nouveaux acteurs s’y soient implantés. Mais le phénomène réellement moteur est bien la diversification des pratiquants. Si le Nitrox a un temps quelque peu brouillé les pistes, considéré à tort comme de la plongée tek, il est revenu dans le giron de la plongée loisir. Parallèlement se sont développées des pratiques tirant avantage des techniques et matériels directement inspirés de la plongée tek, mais pour une cible plus grand public, plus diversifiée, le tek light ou tek loisir avec plaque alu, harnais et enveloppes dorsales, moulinets, parachutes ou éclairages adaptés, etc.
Ce marché de niche s’est alors lui-même fractionné avec d’un côté les tekkies purs et durs, échangeant sur les forums, recherchant des produits sans concession, quitte à se les procurer à l’autre bout du monde sur internet, et de l’autre des amateurs de plongée engagée mais qui se limitent à une pratique et des matériels raisonnables tels une wing, une pony pour la déco et quelques accessoires judicieux. Sans pour autant tomber dans la surenchère.
Des acteurs plus nombreux
Les nouveaux arrivés sur le marché de la plongée tek se sont adaptés en conséquence. Ainsi Harald de Nanteuil qui a créé HLB Dive en 2010. Pas de boutique physique, pas de salarié pour cet entrepreneur passionné de tek qui a démarré son activité sur un constat : une relative difficulté à trouver du matériel de qualité, contraignant souvent les spécialistes à acheter une pièce ici et une autre là. Habitué au sourcing dans sa précédente activité, il a donc entamé une recherche d’équipement auprès de différents fabricants pour les centraliser et répondre plus facilement aux demandes. Et il réfute le terme de marché de niche.
« Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les plongeurs loisir s’émancipent du matériel classique, souvent dès les Niveaux 1 ou 2 pour s’équiper en tek en configuration sidemount ou spéléo par exemple. J’accompagne beaucoup les débutants dans cette démarche en leur proposant conseils et matériels adaptés à leurs besoins. D’ailleurs la matériel a aussi évolué en ce sens. Ainsi, dans les années 1990, on trouvait des wings double enveloppe à très gros volume alors que désormais des modèles de 20 L suffisent pour un bi avec bloc déco. Mais les gens font très bien la différence entre du matériel « pseudo tek » et véritablement tek. Surtout les connaisseurs qui se montrent très exigeants sur la qualité. Malgré tout, le marché de la plongée tek reste difficile. Le bon matériel est cher, les marges sont faibles, les clients pointilleux, il faut donc être pratique et concret plutôt que commercial. Et s’adapter au marché, notamment avec une ouverture à l’international qui compte aujourd’hui entre 15 et 20 % de mon CA. »
Créé en 2007 par Nikolas Du Puy-Dutour, Innodive aussi s’est intéressé aux marques alternatives. « Nous avons été les premiers à importer des marques peu connues et depuis nous travaillons avec un nombre limité de fournisseurs avec lesquels nous avons tissé des liens étroits. On leur fait des remarques et ils sont imaginatifs pour faire évoluer les produits, proposer des nouveautés. Avec 3 personnes et un site internet, nous vendons un peu partout en Europe. Surtout en Belgique et en Suisse où nous avons une filiale. 20 % de notre de CA est réalisé à l’export avec une progression continue à deux chiffres mais le second semestre 2013 et début 2014 s’annoncent plus durs. Cela est dû à l’effet crise, plus qu’à la concurrence. Car même si plusieurs acteurs sont présents sur la plongée tek, si on est rigoureux, il y a de la place pour tout le monde. Cela reste un marché de spécialistes, même en ligne. »
Un avis partagé par Sébastien Collet de FranceTek : « Depuis 2010, je travaillais avec l’Allemand BTS qui n’était pas présent sur le marché français. Je suis donc devenu distributeur de leurs blocs et accessoires, des combis étanches DUI et de la gamme Halcyon. Nous n’avons pas de boutique physique pour l’instant, juste un site internet. Face à l’évolution du marché, nous avons adapté et étoffé notre offre avec des analyseurs de gaz, des wings de différents fabricants, des accessoires, etc. Nous vendons aussi bien aux particuliers qu’aux clubs ou professionnels et revendeurs mais avec des tarifs différenciés adaptés. Comme les marges sont faibles et les grands fabricants exclusifs, nous nous fournissons également auprès de constructeurs émergents (Tchèques, Polonais…) ayant des coûts de fabrication inférieurs pour une offre adaptée à chaque budget.
Car le marché se démocratise, le tek loisir apportant une réelle bouffée d’oxygène face aux tekkies purs et durs qui restent marginaux. Aujourd’hui, plongée tek signifie plus de sécurité et pas forcément plus de complications. Cependant il reste beaucoup de vulgarisation, d’explications et d’informations à fournir. Si ce travail est fait correctement, il y a de la place pour tous, magasins généralistes ou spécialistes. Par analogie, en matière de combi étanches certains veulent une BMW alors que d’autres se contentent d’une Dacia. C’est pourquoi nous envisageons l’avenir de la plongée tek avec sérénité, une croissance à deux chiffres de notre CA et une trentaine de magasins qui travaillent avec nous. »
Des volumes trop limités
Ainsi donc le commerce de la plongée tek ne connaîtrait pas la crise, surfant sur un marché ascensionnel. Ce serait aller un peu vite. Car si la vague est bel et bien porteuse, que de nouveaux acteurs apparaissent, il ne s’agit que de TPE de 1 à 3 employés. À preuve, les grands fabricants généralistes ne se sont pas rués sur la brèche. Presque tous proposent au moins quelques gilets tek à leur catalogue. Plus pour « y être » que par volonté commerciale affirmée, faute de volumes suffisants. Exception, Aqua Lung qui dispose d’une gamme un peu plus étoffée avec ses marques Apeks ou Whites. Pour Manuel Cabrère, la plongée tek reste une niche marginale : « Hormis le Black Diamond qui a été un vrai succès commercial, utilisé aussi bien par des tekkies que des plongeurs sportifs et même si le tek light se démocratise et que les détendeurs Apeks sont appréciés, les volumes ne suivent pas. Signe qui ne trompe pas, nos revendeurs peinent à asseoir une légitimité pour ce marché. Non seulement par manque de connaissances, mais aussi parce que ceux qui souhaitent vraiment se spécialiser ne veulent pas tout stocker et palabrer pendant 4 h avec les clients. Du coup ceux-ci se détournent au profit de boutiques spécialisées. Mais bien sûr que ce marché est scruté avec attention. Nous avons même des produits en carton qui ne vont pas en production faute de demande suffisante. »
Un constat partagé par Scubapro qui a pourtant lancé tout une gamme plongée tek en 2011. « C’était le moment de le faire, confie Eileen Schluter, responsable marketing. Pour autant ce n’est pas cela qui a fait exploser le CA de Scubapro. Le volume des ventes demeure marginal par rapport au reste du matériel. Du moins en France. Parce qu’à l’export, cette gamme marche plutôt bien ! »
La France freine des quatre fers
Au travers de ces quelques exemples, se dégagent quelques tendances lourdes sur le commerce de la plongée tek. D’abord une croissance réelle, régulière, même si pas aussi soutenue qu’espérée. Preuve en est ces nouvelles sociétés qui se sont implantées et qui connaissent toutes une bonne progression. Jusqu’au dernier semestre tout du moins. La principale raison évoquée est évidemment l’augmentation du nombre de pratiquants. Avec une population qui s’est toutefois fragmentée. D’un côté des vrais tekkies ou professionnels (plongée souterraine, profonde, pêche ou services publics), de l’autre des plongeurs loisir utilisant en partie du matériel tek dans une pratique plus légère et qui créent un véritable appel d’air sur la plongée tek.
Mais paradoxalement le marché n’explose pas vraiment. Ces sociétés restent toutes des TPE, tout comme les fabricants spécialisés et les grandes marques demeurent prudentes. Un attentisme justifié par les faibles volumes de vente. Alors ? Qu’est-ce qui coince ? La fameuse exception culturelle française. À mots couverts ou avec des propos acides, tous nos interlocuteurs pointent du doigt une situation franco-française « à la ramasse ». Chez tous nos voisins, la plongée tek se développe sérieusement, tant en nombre de pratiquants qu’en volume. En Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, Suisse, elle est considérée comme une pratique normale, stimulant le marché. Même en Espagne, Italie ou Portugal, pays pourtant plus confrontés à la crise que le nôtre. La frilosité française envers les nouvelles pratiques est en ligne de mire. À commencer par nos organismes de certification, Fédé en tête, jugés trop conservateurs. Pourtant, même si certains clubs associatifs sont totalement réfractaires à ces pratiques, d’autres font essentiellement du tek. Notre législation, jugée bien trop lourde, est également mise à l’index. De l’avis général, elle est beaucoup trop complexe. Dans aucun autre pays cette pratique est autant bridée, empêchant même nos centres professionnels de la proposer.
Sans négliger le fait que la plongée tek demeure onéreuse. Si le coût de matériels appropriés peut paraître justifié aux yeux de pratiquants réguliers, il l’est beaucoup moins pour les plongeurs récréatifs, se bornant à quelques dizaines de plongées par an en monobouteille. Pour autant, partout ailleurs les IANTD, TDI et consorts tirent ce marché vers le haut. Même Padi a développé des cursus tek light et recycleurs. La plongée tek parviendra-t-elle à dépasser les réticences en France ? Sera-t-elle capable de drainer les plongeurs réguliers vers de nouvelles pratiques, comme chez nos voisins ? Pourra-t-elle redynamiser un marché un brin atone ? Peut-être. En attendant, tant que ces freins ne seront pas levés, elle risque fort de rester une activité de niche. Même si cette dernière s’agrandit.
Texte et photos, D. Deflorin